Lorsqu’une personne est victime d’un accident de la route, son droit à réparation peut être exclu si elle a commis une faute inexcusable qui est à l’origine de son dommage.
Référence juridique : Cass. 2e civ., 21 déc. 2023, n° 22-18480
Cet article a été écrit avant le décès de l’auteur, qui était rédacteur pour les revues Lextenso depuis plus de trente ans. Nous adressons nos condoléances à sa famille.
La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, aussi appelée loi Badinter, vise à améliorer la situation des victimes d’accidents de la circulation et à accélérer les procédures d’indemnisation. Elle favorise en particulier l’indemnisation des victimes qui ne conduisaient pas un véhicule terrestre à moteur (VTAM) lors de l’accident. Ainsi, la jurisprudence considère largement comme VTAM des engins comme une moissonneuse-batteuse ou une tondeuse à quatre roues. Cependant, en faveur des personnes handicapées, un fauteuil électrique n’est pas considéré comme un VTAM selon le deuxième alinéa de l’article L. 211-1 du Code des assurances. De même, pour le bien des victimes, la jurisprudence interprète de façon restrictive l’article premier de la loi Badinter qui exclut son application pour les chemins de fer et les tramways circulant sur des voies qui leur sont propres. Ainsi, une décision récente de la Cour de cassation a statué que la loi s’applique lorsque l’accident entre le tramway et la victime se produit à un endroit où la voie du tramway longe le trottoir sans barrière de protection.
Et qu’en est-il de la notion de faute inexcusable de la victime prévue par l’article 3 de la loi du 5 juillet 1985 ? Selon ce texte, si la victime d’un accident de la route a commis une faute inexcusable, le conducteur responsable peut s’y opposer pour exclure son droit à indemnisation. Cependant, il y a une exception pour les victimes de moins de 16 ans ou de plus de 70 ans, ou pour celles qui, quel que soit leur âge, avaient au moment de l’accident un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité d’au moins 80%. Ces personnes ne peuvent se voir opposer que leur faute est intentionnelle, c’est-à-dire qu’elles ont volontairement cherché le dommage qu’elles ont subi. En dehors de ces cas, seul la faute inexcusable de la victime peut exclure son droit à réparation. Comment la jurisprudence définit-elle cette faute ?
Un cas d’étude : la décision de la Cour de cassation du 21 décembre 2023
Un arrêt rendu par la deuxième chambre de la Cour de cassation le 21 décembre 2023 répond à cette question. Dans ce cas, un jeune homme sur un skateboard, roulant très vite dans une rue en pente, sans s’arrêter en bas de la rue, dans une ville très touristique, au mois d’août, à une heure de forte circulation, sans équipement de freinage ni de protection, et sans tenir compte de la signalisation lumineuse ni du flot de voitures perpendiculaires à son chemin, est mort après avoir heurté une voiture. La voiture n’étant pas assurée, la famille de la victime demande une indemnisation au Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO). La deuxième chambre civile commence par rappeler la définition de la faute inexcusable telle qu’elle ressort de plusieurs arrêts rendus le 20 juillet 1987, selon laquelle « seule est inexcusable la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ». La Cour de cassation considère qu’en l’espèce, la faute inexcusable de la victime n’est pas caractérisée. Elle ne le précise pas, mais il semble que, dans ces circonstances, la faute de la victime n’était pas volontaire, comme le soutenait la demanderesse. Cette interprétation restrictive de la faute inexcusable semble justifiée. C’est d’ailleurs ce que soulignent les auteurs lorsqu’ils écrivent que : « Les articles 3 à 6 de la loi du 5 juillet 1985 autorisent le défendeur à se prévaloir de la faute de la victime pour voir supprimer ou réduire le droit à indemnisation de celle-ci. Dans un système fondé sur le droit à indemnisation des victimes, cette exonération pour la faute de la victime doit rester exceptionnelle puisqu’elle entraîne la déchéance – totale ou partielle – d’un droit en principe acquis en vertu de la loi. Et, lorsqu’elle est prévue, la privation d’indemnité apparaît, plus encore que dans le droit commun de la responsabilité, comme une véritable peine privée imposée à la victime, ce qui justifie une appréciation restrictive des conditions de sa mise en œuvre ». C’est ainsi que les règles posées par la loi Badinter relèvent plus de la notion de garantie que de celle de responsabilité.
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